CHAPITRE IV

Des voiles de brume étaient encore accrochés dans les arbres lorsqu’ils reprirent la route, tôt le lendemain matin. Le comte Reldegen était venu, enroulé dans une cape sombre, leur dire au revoir auprès du portail. Debout à côté de son père, Torasin semblait incapable de détourner ses yeux de Garion, qui affectait la plus grande impassibilité. Le jeune et fougueux Asturien semblait fort perplexe, et peut-être ses doutes l’empêcheraient-ils de foncer tête baissée dans quelque désastre. Ce n’était pas grand chose, Garion était tout prêt à en convenir, mais il ne pouvait pas faire davantage dans les circonstances présentes.

— J’espère que vous reviendrez vite me voir, Belgarath, dit Reldegen. Et que vous pourrez rester un peu plus longtemps, la prochaine fois. Nous sommes très isolés, ici, et j’aime bien savoir ce qui se passe dans le monde. Nous resterons assis un mois ou deux au coin du feu, à bavarder.

— Quand j’en aurai fini avec ce que j’ai entrepris, pourquoi pas, Reldegen ? répondit sire Loup, en hochant gravement la tête.

Puis il fit faire une volte à son cheval et prit la tête de la colonne pour traverser la vaste clairière qui entourait la demeure de Reldegen et regagner la sinistre forêt.

— Le comte n’est pas un Arendais ordinaire, déclara Silk d’un ton léger, comme ils chevauchaient l’un à côté de l’autre. Je pense même avoir détecté chez lui une ou deux idées astucieuses, hier soir.

— Il a beaucoup changé, acquiesça sire Loup.

— Sa table n’est pas médiocre, renchérit Barak. Je ne me suis pas senti la panse aussi pleine depuis que nous avons quitté le Val d’Alorie.

— C’est la moindre des choses, répliqua tante Pol. Vous avez mangé presque tout ce cerf à vous seul.

— Vous exagérez, Polgara, objecta Barak.

— Pas vraiment, observa Hettar, de sa voix calme. Lelldorin s’était rapproché de Garion, mais il n’avait pas encore dit un mot. Il paraissait aussi troublé que son cousin. Il était évident qu’il avait envie de dire quelque chose, et tout aussi clair qu’il ne savait pas par où commencer.

— Allez, vas-y, fit enfin Garion, gentiment. Nous sommes assez bons amis pour que je ne m’offusque pas si ça sort un peu abruptement.

— Je suis aussi transparent que ça ? releva Lelldorin, un peu penaud.

— Honnête serait un terme plus approprié, rétorqua Garion. Tu n’as jamais appris à dissimuler tes sentiments, voilà tout.

— C’était vrai ? balbutia Lelldorin. Je ne voudrais pas mettre ta parole en doute, mais il y avait vraiment un Murgo à Cherek qui complotait contre le roi Anheg ?

— Demande à Silk, suggéra Garion. A Barak, à Hettar ou à qui tu voudras. Nous y étions tous.

— Mais Nachak n’est pas comme ça, lui, reprit précipitamment Lelldorin, sur la défensive.

— Comment peux-tu en être sûr ? C’est lui qui a eu l’idée le premier, n’est-ce pas ? Comment avez-vous fait sa connaissance ?

— Nous étions allés tous ensemble à la Grande Foire, avec Torasin et quelques autres. Nous avions fait des achats auprès d’un marchand murgo, et Tor a fait des réflexions sur les Mimbraïques — tu connais Tor. Le marchand a dit qu’il connaissait quelqu’un que nous aimerions peut-être rencontrer, et c’est comme ça qu’il nous a présentés à Nachak. Et plus nous parlions avec lui, et plus nous nous sommes rendu compte qu’il partageait nos idées.

— Ben voyons.

— Il nous a révélé les projets du roi. Tu ne voudras jamais me croire.

— Ça, j’en doute, en effet.

Lelldorin lui jeta un rapide coup d’œil, un peu ébranlé.

— Il va diviser nos domaines et les donner à des nobles mimbraïques sans terre, annonça-t-il d’un ton accusateur.

— Tu as vérifié ça auprès de quelqu’un d’autre ?

— Et comment voulais-tu que nous fassions ? Les Mimbraïques n’auraient jamais admis une chose pareille, quand bien même nous le leur aurions demandé, mais c’est tellement le genre de chose qu’ils sont capables de faire.

— Alors vous n’aviez que la parole de Nachak. Comment l’idée de ce complot vous est-elle venue ?

— Nachak a dit qu’à la place des Asturiens, il ne se laisserait jamais dépouiller de sa terre, mais que ce n’est pas quand les Mimbraïques viendraient avec leurs cavaliers et leurs soldats qu’il faudrait tenter de résister ; il serait trop tard, à ce moment-là. Il a dit que lui, il frapperait avant qu’ils ne soient prêts, et de telle sorte qu’ils ne puissent jamais deviner qui avait fait le coup. C’est pour cela qu’il a suggéré les uniformes tolnedrains.

— A partir de quel moment a-t-il commencé à vous donner de l’argent ?

— Je ne sais plus très bien. C’est Tor qui s’est occupé de ça.

— Il vous a expliqué pourquoi il finançait l’opération ?

— Il a dit que c’était par amitié.

— Et ça ne vous a pas semblé un peu bizarre ?

— Je donnerais bien de l’argent par amitié, moi, protesta Lelldorin.

— Oui, mais tu es un Asturien, toi. Tu donnerais ta vie par amitié. Seulement Nachak est un Murgo, lui, et je n’ai jamais entendu dire que les Murgos étaient si généreux que ça. Finalement, si j’ai bien compris, un étranger vous a raconté que le roi projetait de vous prendre vos terres ; puis il vous a fourni un plan pour tuer le roi et déclencher les hostilités avec la Tolnedrie, et, pour être bien certain que vous n’échoueriez pas dans vos petits projets, par-dessus le marché il vous a encore donné de l’argent. C’est bien ça ?

Lelldorin hocha la tête en silence, avec un regard halluciné.

— Et ça ne vous a pas mis la puce à l’oreille, tous autant que vous étiez ?

Il avait l’impression que pour un peu, Lelldorin se serait mis à pleurer.

— C’était un si bon plan, parvint-il enfin à articuler. Ça ne pouvait pas rater.

— C’est bien ce qui le rend si dangereux.

— Garion, qu’est-ce que je vais faire ? questionna Lelldorin, d’une voix angoissée.

— Je crois que tu ne peux rien faire pour l’instant. Mais j’aurai peut-être une idée, un peu plus tard, quand nous aurons le temps d’y réfléchir, et si je ne vois rien, nous pourrons toujours en parler à mon grand-père. Il trouvera bien un moyen d’arrêter ça.

— Nous ne pouvons en parler à personne, lui rappela Lelldorin. Nous avons juré de ne rien dire.

— Il se pourrait que nous soyons amenés à rompre ce serment, insinua Garion, à son corps défendant. Je me demande vraiment ce que nous devons aux Murgos, toi et moi. Mais c’est à toi d’en décider ; je n’en parlerai à personne sans ta permission.

— C’est toi qui vois, implora alors Lelldorin. Moi, je ne peux pas, Garion.

— Il faudra tout de même bien que tu te prononces un jour, répondit Garion. Je suis sûr que si tu prends la peine d’y réfléchir, tu verras tout de suite pourquoi.

Mais sur ces entrefaites, ils arrivèrent à la Grand-route de l’Ouest, et Barak leur fit prendre un trot allègre qui interdisait désormais toute discussion.

Ils avaient peut-être parcouru une lieue lorsqu’ils passèrent le long d’un village terreux, constitué d’une douzaine de huttes au toit de tourbe et aux murs faits de claies recouvertes de boue. Les champs qui entouraient ces pauvres masures étaient pleins de souches d’arbres, et quelques vaches étiques pâturaient en lisière de la forêt. Garion ne put retenir son indignation au spectacle de la misère implicite dans ce ramassis de tanières sordides.

— Regarde, Lelldorin ! dit-il non sans aigreur.

— Quoi ? Où ça ?

Le jeune homme sortit rapidement de ses préoccupations personnelles comme s’il s’attendait à un danger.

— Le village, précisa Garion. Regarde-moi un peu ça.

— Ce n’est qu’un village de serfs, répondit Lelldorin avec indifférence. J’en ai vu des centaines comme celui-ci.

Cela dit d’un ton indiquant qu’il entendait retourner illico à ses tempêtes subcrâniennes.

— En Sendarie, nous ne garderions même pas les cochons dans un endroit pareil, déclara Garion, d’une voix véhémente.

Si seulement il pouvait lui ouvrir les yeux !

Deux serfs dépenaillés taillaient languissamment une souche, non loin de la route, pour en faire du bois à brûler. En voyant approcher le petit groupe, ils laissèrent tomber leurs haches et se précipitèrent dans la forêt en proie à une panique incontrôlable.

— Tu es fier de toi, Lelldorin ? s’exclama Garion. Tu es fier de savoir que les paysans de ton pays ont peur de toi au point de prendre leurs jambes à leur cou quand ils te voient ?

Lelldorin eut l’air sidéré.

— Ce sont des serfs, Garion, répéta-t-il comme si c’était une explication.

— Ce sont des hommes, Lelldorin, pas des animaux. Les hommes méritent tout de même d’être traités avec un peu plus d’égards.

— Mais qu’est-ce que tu veux que j’y fasse ? Ce ne sont pas mes serfs.

Sur ces mots, Lelldorin se referma comme une coquille et se remit à chercher un moyen de sortir du dilemme dans lequel Garion l’avait enfermé.

A la fin de l’après-midi, ils avaient parcouru dix lieues et le ciel nuageux s’assombrissait progressivement à l’approche du soir.

— Je crois que nous allons être obligés de dormir dans la forêt, Belgarath, annonça Silk en jetant un coup d’œil aux alentours. Nous n’avons aucune chance d’arriver à la prochaine hôtellerie tolnedraine avant la nuit.

Sire Loup, qui somnolait à moitié sur sa selle, leva les yeux en clignant un peu les paupières.

— Très bien, répondit-il, mais éloignons-nous un peu de la route. Notre feu pourrait attirer l’attention, et trop de gens savent déjà que nous sommes en Arendie.

— Voilà justement une piste de bûcherons, déclara Durnik en indiquant une trouée dans les arbres. Nous n’aurons qu’à la suivre pour nous retrouver au milieu des bois.

— D’accord, acquiesça sire Loup.

Ils empruntèrent la piste étroite qui serpentait entre les arbres, le bruit des sabots de leurs chevaux étouffé par les feuilles détrempées qui tapissaient le sol de la forêt. Ils avaient peut-être parcouru une demi-lieue sans dire un mot lorsqu’une clairière s’ouvrit enfin devant eux.

— Que dites-vous de cet endroit ? suggéra Durnik en tendant le doigt vers un ruisseau qui babillait gaiement entre des pierres couvertes de mousse, sur l’un des côtés de la clairière.

— Ça devrait faire l’affaire, répondit sire Loup.

— Il va falloir nous abriter, observa le forgeron.

— J’avais acheté des tentes à Camaar, révéla Silk. Elles sont dans les ballots.

— Vous avez été fort prévoyant, approuva tante Pol.

— Ce n’est pas la première fois que je viens en Arendie, gente dame. Je connais le climat.

— Nous allons chercher du bois pour le feu, Garion et moi, déclara Durnik en descendant de cheval et en prenant la hache attachée à sa selle.

— Je vais vous aider, proposa Lelldorin, dont le visage trahissait encore le trouble.

Durnik eut un hochement de tête et les emmena avec lui. Les arbres étaient gorgés d’eau, mais le forgeron semblait avoir un sixième sens pour trouver du bois sec. Ils s’affairèrent rapidement dans la lumière qui déclinait très vite maintenant, et en un rien de temps, ils avaient réuni trois gros fagots de branchages et de petit bois, avec lesquels ils regagnèrent la clairière où Silk et les autres dressaient plusieurs tentes brunes. Durnik laissa tomber sa brassée de bois et déblaya avec son pied l’espace nécessaire pour construire le feu, puis il s’agenouilla et entreprit d’arracher des étincelles à un morceau de silex avec la lame de son couteau pour les communiquer à une mèche d’amadou bien sèche qui ne le quittait pas. En peu de temps, il eut allumé une belle petite flambée, à côté de laquelle tante Pol aligna ses chaudrons tout en fredonnant doucement.

Hettar revint après s’être occupé des chevaux, et ils regardèrent, à distance respectable, tante Pol préparer le souper, à partir des provisions que le comte Reldegen avait insisté pour leur faire emporter ce matin-là.

Lorsqu’ils eurent mangé, ils restèrent assis autour du feu à parler tranquillement.

— Combien de chemin avons-nous fait aujourd’hui ? s’enquit Durnik.

— Une douzaine de lieues, estima Hettar.

— Et nous en avons encore pour longtemps avant de sortir de la forêt ?

— Il y a quatre-vingts lieues de Camaar à la plaine du centre, répondit Lelldorin.

— Ça fait encore au moins une semaine, soupira Durnik. J’espérais que nous n’en aurions plus que pour quelques jours.

— Je te comprends, Durnik, renchérit Barak. C’est sinistre, tous ces arbres.

Les chevaux, qui étaient au piquet près du ruisseau, se mirent à hennir doucement, comme s’ils avaient été dérangés. Hettar se leva d’un bond.

— Quelque chose qui ne va pas ? demanda Barak en se redressant à son tour.

— Ils ne devraient pas... (Hettar s’interrompit brusquement.) « Reculez ! s’exclama-t-il précipitamment. Eloignez-vous du feu. Les chevaux disent qu’il y a des hommes par ici. Beaucoup. Avec des armes.

Il s’écarta brusquement du feu en dégainant son sabre.

Lelldorin lui jeta un coup d’œil surpris et fila, tel l’éclair, à l’intérieur de l’une des tentes. La soudaine déception qu’éprouva Garion devant le comportement de son ami lui fit l’effet d’un coup de poing dans l’estomac. C’est alors qu’une flèche siffla dans la lumière et vint s’écraser sur la cotte de mailles de Barak.

— Aux armes ! rugit le grand bonhomme en tirant son épée.

Garion agrippa la manche de tante Pol et tenta de l’éloigner du foyer.

— Lâche-moi ! cracha-t-elle en se dégageant brutalement.

Une seconde flèche jaillit avec un sifflement des bois brumeux. Tante Pol eut un geste de la main, pareil à celui que l’on fait pour écarter une mouche importune, et marmonna un seul mot. La flèche rebondit comme si elle avait heurté un corps solide et tomba à terre.

Puis, avec un hurlement rauque, une bande de sombres brutes surgit, l’arme au clair, de la lisière des arbres et traversa le ruisseau en pataugeant. Au moment où Barak et Hettar se précipitaient à leur rencontre, Lelldorin émergea de la tente en bandant son arc et entreprit de décocher des flèches, si rapidement que ses mains semblaient floues tout à coup. Garion se sentit instantanément tout honteux d’avoir douté du courage de son ami.

L’un de leurs assaillants retomba en arrière avec un cri étranglé, une flèche plantée dans la gorge. Un autre se plia en deux d’un seul coup, les mains crispées sur son estomac, et s’écroula en gémissant. Un troisième, très jeune et dont les joues s’ornaient d’un duvet clair, tomba lourdement sur le sol où il resta assis à tenter d’enlever les plumes des flèches qui dépassaient de sa poitrine, un étonnement indicible inscrit sur son visage enfantin. Puis il poussa un soupir et s’affaissa sur le côté, tandis qu’un flot de sang lui jaillissait du nez.

Les hommes en haillons marquèrent une hésitation sous la pluie de flèches de Lelldorin, mais trop tard : Barak et Hettar étaient déjà sur eux. Dans le même mouvement, la lourde épée de Barak pulvérisa une lame qui se tendait vers lui et s’abattit dans l’angle formé par le cou et l’épaule de l’individu aux favoris noirs qui la brandissait. L’homme s’écroula. Hettar feinta rapidement avec son sabre, puis embrocha en douceur une brute au visage marqué par la vérole. L’homme se raidit, et un jet de sang vermeil s’échappa de sa bouche lorsque Hettar dégagea sa lame. Durnik fonça en avant avec sa hache tandis que Silk tirait sa longue dague de sous son gilet et se précipitait sur un homme à la barbe brune, hirsute. Au dernier moment, il plongea en avant, roula sur lui-même et atteignit le barbu en pleine poitrine avec ses deux pieds. Il se releva aussitôt et fendit le ventre de l’homme avec sa dague, de bas en haut, dans un horrible bruit de déchirure, humide et crissant à la fois. L’homme éventré se cramponna à son estomac avec un hurlement en tentant de retenir les boucles et les méandres bleuâtres de ses entrailles, qui semblaient couler entre ses doigts comme un fleuve bouillonnant.

Garion plongea sur les ballots pour tirer sa propre épée, mais sentit tout à coup qu’on l’empoignait brutalement par-derrière. Il se débattit un instant, puis prit sur la tête un coup qui l’étourdit et lui emplit les yeux d’un éclair éblouissant.

— C’est lui, fit une voix rauque tandis que Garion basculait dans l’inconscience.

 

Quelqu’un le portait dans ses bras — de cela au moins, il était certain : il sentait les muscles robustes sous son corps. Il ne savait pas combien de temps s’était écoulé depuis qu’il avait pris ce coup sur la tête. Il en avait encore les oreilles qui tintaient et il se retenait pour ne pas vomir. Il ne se raidit pas mais ouvrit prudemment un œil. Il avait la vision brouillée et incertaine, mais il parvenait à distinguer Barak penché sur lui dans l’obscurité, et comme la dernière fois, dans les bois neigeux du Val d’Alorie, il lui sembla voir la face hirsute d’un ours énorme confondue avec son visage. Il ferma les yeux, frissonna et tenta faiblement de se débattre.

— Tout va bien, Garion. C’est moi, dit Barak, d’une voix qui lui parut accablée de désespoir.

Lorsque Garion rouvrit les yeux, l’ours semblait avoir disparu. Il n’était même pas certain de l’avoir vraiment vu.

— Ça va ? demanda Barak en le posant à terre.

— Ils m’ont flanqué un coup sur la tête, marmonna Garion en palpant la bosse qu’il avait derrière l’oreille.

— Ils n’auront pas l’occasion de recommencer, grommela Barak d’un ton toujours aussi désespéré.

Puis le grand bonhomme se laissa tomber par terre et enfouit son visage dans ses mains. Il faisait noir, et on n’y voyait pas très bien, mais on aurait dit que les épaules de Barak étaient secouées, comme sous l’effet d’une terrible douleur rentrée, par une série de sanglots convulsifs, d’autant plus déchirants qu’ils étaient silencieux.

— Où sommes-nous ? questionna Garion en tentant de percer les ténèbres qui les entouraient.

Barak se mit à tousser et s’essuya le visage.

— Assez loin des tentes. Il m’a fallu un petit moment pour rattraper les deux gaillards qui s’étaient emparés de toi.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

Garion se sentait encore un peu hébété.

— Ils sont morts. Tu peux te lever ?

— Je n’en sais rien.

Garion tenta de se redresser, mais un vertige s’empara de lui, et son estomac se rappela à son plus mauvais souvenir.

— Ça ne fait rien, je vais te porter, proposa Barak d’un ton de féroce efficacité, maintenant.

Avec un cri perçant, une chouette s’abattit d’une branche, non loin de là, et sa forme blanche, fantomatique, plana entre les arbres, devant eux. Mais Barak le souleva, et Garion ferma les yeux pour se concentrer sur son estomac, tout à la tâche d’essayer de le ramener à la raison.

Il ne leur fallut guère de temps pour rejoindre la clairière et son cercle de lumière.

— Il n’a pas de mal ? demanda tante Pol en relevant les yeux du bras de Durnik, sur lequel elle pansait une entaille.

— Juste une bosse sur le crâne, répondit Barak en reposant Garion à terre. Tu les as mis en fuite ?

Sa voix charriait des accents rauques, impitoyables.

— Oui. Enfin, ceux qui pouvaient encore courir, raconta Silk, tout excité, ses petits yeux de fouine brillant comme du jais. Il y en a quelques-uns qui sont restés sur le carreau.

Il eut un mouvement du menton en direction d’un certain nombre de formes immobiles gisant à la limite de la zone éclairée par les flammes.

Lelldorin regagna la clairière en regardant constamment par-dessus son épaule, son arc encore à demi levé. Il était à bout de souffle, et il avait le visage livide et les mains tremblantes.

— Ça va ? demanda-t-il en apercevant Garion. Garion hocha la tête en palpant délicatement la bosse derrière son oreille.

— J’ai essayé de rattraper les deux scélérats qui t’ont enlevé, déclara le jeune homme, mais ils couraient trop vite pour moi. Il y a un genre d’animal, par là-bas. Je l’ai entendu pousser des grognements pendant que je te cherchais. Des grognements horribles.

— La bête est repartie, maintenant, annonça platement Barak.

— Qu’est-ce que tu as ? s’enquit Silk.

— Rien du tout.

— Qui étaient ces hommes ? demanda Garion.

— Des voleurs, probablement, conjectura Silk en rangeant sa dague. C’est l’un des avantages des sociétés qui tiennent les hommes en esclavage. Quand ils en ont marre d’être serfs, ils peuvent toujours aller dans la forêt, chercher un peu de distraction et un petit bénéfice.

— J’ai l’impression d’entendre Garion, objecta Lelldorin. Vous ne voulez pas comprendre que le servage fait partie de l’ordre des choses, ici ? Nos serfs ne seraient pas capables de se débrouiller seuls. Il faut bien que ceux qui occupent une position sociale plus élevée acceptent la responsabilité de prendre soin d’eux.

— Mais bien sûr, acquiesça Silk, d’un ton sarcastique. Ils sont moins bien nourris que vos porcs, pas aussi bien traités que vos chiens, mais vous vous occupez d’eux, hein ?

— Ça suffit, Silk, coupa fraîchement tante Pol. Ne commençons pas à nous disputer entre nous.

Elle acheva de nouer le bandage de Durnik et vint examiner la tête de Garion. Elle effleura légèrement la bosse avec ses doigts, lui arrachant une grimace de douleur.

— Ça n’a pas l’air bien grave, conclut-elle.

— Ça fait tout de même mal, se plaignit-il.

— C’est normal, mon chou, rétorqua-t-elle calmement, en trempant un linge dans un seau d’eau froide et en l’appliquant sur sa bosse. Il serait tout de même temps que tu apprennes à garer ton crâne, Garion. Si tu n’arrêtes pas de prendre des coups sur la tête comme ça, tu vas te ramollir la cervelle.

Garion s’apprêtait à répliquer lorsque Hettar et sire Loup reparurent dans le cercle lumineux.

— Ils courent toujours, annonça Hettar.

Les disques de métal qui ornaient sa veste en peau de cheval jetaient des éclairs rutilants dans la lueur vacillante des flammes, et la lame de son sabre était encore rouge de sang.

— La course à pied est leur spécialité, apparemment, commenta sire Loup. Tout le monde va bien ?

— Quelques plaies et bosses, c’est à peu près tout, répondit tante Pol. C’aurait pu être bien pire.

— Nous n’allons pas commencer à spéculer sur ce qui aurait pu arriver.

— On pourrait peut-être faire place nette, non ? grommela Barak en indiquant les corps qui jonchaient le sol, non loin du ruisseau.

— Ne devrions-nous pas leur offrir une sépulture ? suggéra Durnik, la voix un peu tremblante et le visage livide.

— On ne va quand même pas se crever la paillasse pour ça, répliqua Barak, sans ambages. Que leurs amis reviennent s’en charger, si ça leur chante.

— Ça manque un peu d’humanité, non ? objecta Durnik.

— Peut-être, mais c’est comme ça, conclut Barak en haussant les épaules.

Sire Loup retourna l’un des morts sur le dos, et examina avec soin son visage gris.

— On dirait un vulgaire brigand arendais, grommela-t-il. Mais bien malin qui pourrait le certifier.

Lelldorin extirpait soigneusement ses flèches des cadavres pour les remettre dans son carquois.

— Allez, on va les empiler par là, dit Barak à Hettar. Je commence à en avoir assez de contempler ce spectacle.

Durnik détourna le regard. Garion vit qu’il avait deux grosses larmes dans les yeux.

— Tu as mal, Durnik ? demanda-t-il gentiment, en s’asseyant sur le rondin à côté de son ami.

— J’ai tué un homme, Garion, répondit le forgeron d’une voix tremblante. Je lui ai donné un coup de hache en plein visage. Il a poussé un cri affreux, son sang a giclé sur moi. Et puis il est tombé et il a frappé le sol avec ses talons jusqu’à ce qu’il soit mort.

— Tu n’avais pas le choix, Durnik. C’était eux ou nous.

— Je n’avais jamais tué personne de ma vie, reprit Durnik, maintenant en pleurs. Il a frappé le sol si longtemps avec ses pieds — si terriblement longtemps.

— Tu devrais aller te coucher, Garion, suggéra fermement tante Pol, sans quitter des yeux le visage ruisselant de larmes de Durnik.

Garion comprit le message.

— Bonne nuit, Durnik, dit-il en se levant.

Mais avant d’entrer dans sa tente, il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Tante Pol était allée s’asseoir sur le tronc d’arbre, à côté du forgeron, et elle lui parlait doucement, un bras passé autour de ses épaules dans une attitude réconfortante.

La Reine des sortileges
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